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Arrêt No 20/91 du 08 aout 1991 |
Arrêt No 20/91 du 08 aout 1991
Attendu qu'après avoir demandé dans ses premières écritures du 22 Août 1990 qu'il soit dit et jugé qu'en raison de l'effet dévolutif de l'appel, la Cour n'est pas saisie, en l'espèce, des questions de fait et de droit relatives à l'incompétence, l'exception de communication de pièces et l'exception de prescription, il sollcite en réplique aux conclusions de l'intimée qu'il plaise à la Cour : - Déclarer recevable en la forme l'appel interjeté par D. et l'appel incident de la B ; - Confirmer le jugement querellé dont est appel incident ; - Dire et juger que la B. a été l'employeur de D ; - Déclarer l'action en paiement de salaires de D.non prescrite ; - Déclarer l'intimée coupable d'abus de droit ; - Déclarer le licenciement abusif en la forme et au fond ; Attendu que l'intimée assistée de Maître AGBANTOU résiste aux prétentions du Sieur D ; Que, soulevant deux fins de non recevoir, l'une tirée de l'inexistence d'un contrat de travail entre la B. et l'appelant et l'autre de la prescription des réclamations sur salaires, il sollicite au principal sa mise hors de cause et le rejet de toutes les prétentions de l'appelant relatives aux actions en paiement de salaires, de divers droits et dommages-intérêts en ce que la première est non seulement prescrite mais qu'elles sont toutes fallacieuses ; Qu'au subsidiaire, il conclut à la confirmation du jugement querellé et sollicite qu'il soit dit et jugé que le licenciement de l'appelant est justifié et légitime pour être intervenu pour faute lourde et à tout le moins pour perte de confiance et qu'il y a lieu de le débouter de toutes ses demandes ; Attendu qu'il est constant que le Sieur D. a versé au dossier un certificat de travail à lui délivré le 30 Novembre 1961 par le Directeur de la B.- Agence de Cotonou Monsieur J. S. attestant que celui-ci a été employé en qualité de planton du 20 Octobre 1960 au 30 Novembre 1961, classé en 3ème catégorie de la Convention Collective des Banques au salaire mensuel brut de 12.000 F CFA ; Attendu que la B. rejette ces allégations et soutient qu'il n'a jamais existé un lien de subordination ou de préposition entre l'appelant et elle ; que celui-ci, pour avoir été embauché le 20 Octobre 1960 et licencié le 30 Novembre 1961, ne pouvait être que l'employé de l'Institut d'Emission de l'Afrique Occidentale Française (I.E.A.O.F) les Statuts de la B. n'ayant été adoptés que le 30 Octobre 1962 ; Qu'en conséquence le lien de subordination qui l'avait antérieurement uni audit Institut avait disparu dès la rupture du contrat de travail qui le liait à son ancien employeur ; Qu'elle relève au surplus le caractère contestable du certificat de travail produit lequel aurait dû être fait sur un imprimé avec adresse exacte de la B ; Attendu que pour réparer le grief à elle fait par le premier Juge de n'avoir produit aucun élément de preuve pouvant éclairer le Tribunal sur la distinction faite entre la B. - Etablissement Public Français et la B. - UMOA, elle verse aux débats par l'organe de son conseil Maître AGBANTOU : 1 - Le décret N° 55-103 du 30 Janvier 1955 portant réforme du régime de l'émission en Afrique Occidentale Française et au TOGO ; 2 - Un extrait des Statuts de l'Institut d'Emission ; 3 - Un extrait des Statuts de la B.-UMOA ; Attendu qu'il est un principe général du droit consacré par l'article 40 du Code de Travail que les contrats de travail en cours d'exécution continuent de produire leurs effets en cas de cession, de location-gérance ou de transformation des entreprises ; Attendu que si cette continuation n'emporte pas que le cessionnaire s'oblige à conserver les travailleurs de l'entreprise objet de la cession ou de la transformation, elle lui impose cependant d'avoir à payer tous les droits des employés dont il voudrait se séparer à moins qu'il n'ait été stipulé des clauses contraires ; Attendu que l'Institut d'Emission dont s'agit et la B. ont pour objet c'est-à-dire comme dénominateur commun, l'émission de billets de banque ; que si elles sont distinctes dans leur régime juridique il n'en demeure pas moins qu'il s'agit de la même entreprise continuant à fonctionner sous une direction nouvelle fût-elle au niveau étatique ; qu'il est incontestable qu'un protocole d'accord en vue du maintien du personnel a été signé puisqu'il n'est un secret pour personne que les employés dudit Institut ont travaillé à la B. et y sont restés jusqu'à leur mise à la retraite ; Attendu que la survivance des contrats de travail n'étant pas subordonnée à la condition que le nouvel employeur soit l'ayant-cause de l'ancien (cass soc 22 oct 1959 D 1960 P. 168) il y a lieu d'en déduire que la rupture du contrat de travail imputé à l'ancien employeur par un employé est le fait de la même entreprise quelle que soit la direction sous laquelle elle se trouve ; Attendu par ailleurs que l'intimée ne produit que quatre (4) articles du Titre I des Statuts de l'Institut d'Emission et trois (3) articles du Titre I de ceux de la B. relatifs à la Constitution et au Capital desdites institutions ; Que cette attitude dénote une volonté d'occulter la vérité et de ne pas communiquer au juge tous les éléments d'appréciation pouvant conduire au règlement rapide et judicieux du litige ; Attendu en outre qu'il appartient à la B. qui déclare contestable le certificat de travail de verser au dossier les éléments de la contestation ; qu'au demeurant le terme contestable dont elle fait usage est lui-même dubitatif ; Que le fait pour ledit certificat de n'avoir pas été établi sur un imprimé avec adresse exacte de la B. constitue un argument trop léger pour en entamer l'authenticité ; Attendu par contre que ni l'existence d'un Directeur de la B. nommé J. S., ni sa signature n'ont été contestées ; Qu'il résulte de toutes ces analyses que le moyen tiré de l'inexistence d'un contrat de travail entre la B. et D. n'est pas fondé ; qu'il échet de la rejeter et de confirmer la décision querellée sur ce point ; Attendu que l'intimée soulève la prescription d'un an édictée par les dispositions de l'article 93 du Code du Travail en matière des salaires au motif que la présente instance a été introduite plus de vingt (20) ans après la rupture du contrat ; Mais attendu que l'alinéa 2 du même article stipule que cette prescription cesse de courir lorsque l'Inspection du travail a été saisie ; Attendu que si l'appelant n'a pu fournir aucune preuve de la saisine de l'Inspection du Travail au moment de la rupture du contrat parce que toutes ces pièces seraient perdues lors de la perquisition dont il a fait l'objet en Septembre 1961 (cfr relevé notes d'audience Trib Social), l'Inspection du travail a cependant indiqué au Procès-Verbal de non- conciliation dressé, certes, plus de 20 ans après la naissance du litige, que l'affirmation selon laquelle D. l'a saisie dès que la rupture du contrat lui a été notifiée est très vraisemblable ; Attendu qu'il a été dit et jugé par la Cour d'Appel de Céans (ODUCHINA C/SONICOG - Arrêt n° 16 du 24 mai1984) que le retard mis par l'Inspection du travail à procéder à l'Etablissement dudit procès-verbal ne saurait être imputable à la faute de l'employé ; Attendu au surplus que le premier Juge a déduit à juste titre, de la contradiction entre la position de l'employeur tirée de l'inexistence d'un contrat de travail entre l'appelant et lui et le fait de lui opposer la prescription annale des salaires qu'il y a eu un aveu tacite que le paiement n'a pas été fait ; Qu'en effet, si la prescription de l'article 93 du Code du Travail repose sur la présomption de paiement destinée à protéger l'employeur contre les réclamations tardives de l'employé, il n'en demeure pas moins vrai que cette présomption tombe lorsqu'il y a aveu tacite ou exprès ; Qu'en conséquence, l'action en réclamation des salaires de l'appelant ne saurait être déclarée éteinte par la prescription ; Qu'il y a lieu de confirmer la décision querellée sur ce point ; Attendu que le conseil de l'appelant sollcite l'infirmation du jugement entrepris en ce qu'il a conclu que D. ne rapporte pas la preuve de la faute commise par la B. et le préjudice par lui subi de ce fait ; Qu'au soutien de cette demande, il développe que le licenciement de l'employé est abusif aussi bien en la forme qu'au fond ; Attendu que, sur le premier moyen, il fait observer que D. a été licencié pendant la période de son arrestation, période correspondant à une suspension de son contrat de travail et que par ailleurs, la rupture dudit contrat ne lui a pas été notifiée par écrit ; Que, sur le second moyen, il expose qu'aucune faute ne lui a été imputée par son employeur qui a pris l'initiative de la rupture ; que l'absence de motif constitue un abus de droit de rupture ; Attendu que la B. repousse ces prétentions, conclut au débouté de l'appelant au motif que lui-même ayant reconnu devant le premier juge qu'il avait été licencié parce qu'il avait été mis en prison, il ne pouvait ignorer le motif de son licenciement ; Que le chapelet de délits à savoir délit d'usure, abus de blanc-seing, faux en écriture et usage de faux qui lui étaient reprochés sont constitutifs d'une faute lourde justifiant amplement ledit licenciement pour un employé de banque, fût-il planton ; Que subsidiairement, il se justifierait à tout le moins par la perte de confiance ; Attendu que la décision querellée a souligné que D. a lui-même expliqué à l'audience qu'il avait été licencié parce qu'il avait été mis en prison pour un motif qu'il n'a pas été en mesure de préciser clairement au tribunal ; Attendu qu'il est constant que D. a fait l'objet d'une procédure au cours de laquelle il a été arrêté pour les délits suscités telle qu'il résulte de la pièce portant scellé fermée n° 66/C 3A en date du 13 Septembre 1961 ; Mais attendu que l'employé qui n'est qu'un planton donc un demi-lettré ne fait aucune différence entre une simple garde-à vue, une détention préventive et une détention pour purger une condamnation ; qu'en effet, si la poursuite dont s'agit avait eu des suites judiciaires, l'employé aurait été jugé et condamné pour les faits incriminés ou à tout le moins relaxé au bénéfice du doute ; que ce doute aurait pu profiter aussi à l'employeur ; Attendu qu'il appartient à celui qui allègue un fait d'en rapporter la preuve ; que dans le cas d'espèce, il était aisé à l'intimée de verser aux débats la décision résultant desdites poursuites, les faits s'étant produits à Cotonou ; Attendu par ailleurs que le motif du licenciement ne se présume pas, ni ne s'obtient par déduction ; qu'il doit être antérieur au licenciement ; qu'en effet, il est de doctrine et de jurisprudence constantes que le licenciement n'est légitime que dans la mesure où il repose sur des motifs à la fois réels et sérieux ; Attendu que la preuve n'a pas été faite de ce qu'à la suite de son arrestation qui n'a duré que quinze (15) jours, l'employé a fait l'objet d'une condamnation ; qu'ainsi la réalité et le sérieux des faits à lui imputés n'étant pas justifiés, il échet de constater que le licenciement intervenu sur la base de ces motifs est abusif ; qu'il y a lieu d'infirmer le jugement attaqué sur ce point ; Attendu en outre que les faits pour lesquels D. a été interpellé n'ont pas été commis dans l'exercice de ses fonctions ; qu'ils ne sauraient donc être qualifiés de faute lourde justifiant la rupture du contrat de travail le liant à son employeur ; d'où il suit que ce moyen doit être rejeté ; Que d'autre part en décidant de le licencier pendant la période de son arrestation, l'employeur a enfreint les dispositions de l'art 29 al10 et de l'art 30 al1 du Code du Travail qui précisent que la période de la détention préventive ou administrative du travailleur marque la suspension de son contrat de travail et non une faute professionnelle et encore moins une rupture du contrat ; Attendu qu'au subsidiaire, la B. allègue la perte de confiance à l'égard de son employé ; Attendu qu'il a été jugé qu'en dehors des présomptions graves et concordantes ou de tout autre élément circonstanciel, le simple fait d'avoir été interpellé par la police dans le cadre d'une procédure est manifestement insuffisante pour caractériser la perte de confiance (Abidjan 28 Novembre 1990 TP.O.M. n° 760 p.250) ; Qu'ainsi aucune faute professionnelle et aucune condamnation n'ayant été relevées à l'encontre de D., il y a lieu de dire et juger que la perte de confiance ne repose sur aucun motif réel et sérieux, qu'elle n'est donc pas établie ; Attendu que le Code du Travail et les conventions collectives ont prévu que le licenciement doit être notifié par écrit avec indication du motif de la rupture ; que l'absence d'indication de ce motif rend le licenciement abusif (Yaoundé, 6 Mars 1982 T.P.O.M n° 570 p.11) ; Attendu que la B. qui a fait son cheval de bataille de l'absence d'un lien contractuel entre le Sieur D. et elle et qui paradoxalement a conclu à l'existence d'une faute lourde de l'employé et à la perte de confiance qui en est résultée, n'a pas cru devoir verser au dossier la lettre prouvant que le licenciement lui a été notifiée ; Attendu que la violation par l'employeur de l'obligation légale de l'écrit imposé par l'art. 32 du Code de Travail al. 3 rend le licenciement abusif et expose celui-ci au paiement de dommages-intérêts ; Qu'il échet de l'y condamner ; Attendu que l'appelant sollicite la condamnation de la B. à lui allouer les sommes suivantes : - 9.450.000 F au titre des salaires mensuels échus depuis Septembre 1961 au 25 Mai 1984 ; - 4.000.000 F à titre de dommages-intérêts pour licenciement abusif ; Attendu que pour faire échec à l'argumentation du juge qui l'a débouté motif pris de ce qu'il n'a versé aucune pièce aux débats lui permettant de rapporter la preuve de son reclassement au salaire de 35.000 F le certificat de travail lui-même ne mentionnant qu'un salaire mensuel brut de 12.000 F, le Sieur D. produit une enveloppe objet du scellé fermé n° 66/C 3A portant les renseignements de la B. donnés par Mr L. G. Directeur Adjoint, l'incrimination et la mention "P-V n° 266/C 3A" du 13 Septembre 1961 ; suivie d'une signature ; Attendu que les mentions sus-citées ne peuvent être admises comme mode de preuve du salaire gagné à l'époque par l'employé ; qu'en effet le Directeur Adjoint n'ayant pas signé la déposition à lui imputée, lesdites informations au sujet du reclassement à 35.000 Francs ont pu être données tout aussi bien par l'employé ; Attendu cependant que le certificat de travail fait état de ce que D. a été employé par la B. en qualité de planton du 20 Octobre 1960 au 30 Novembre 1961 au salaire mensuel brut de 12.000 francs ; Que contrairement à la décision du premier juge qui présente un paradoxe à ce sujet, seul le montant de ce salaire doit être retenu, l'employé ayant déclaré que toutes ses pièces ont disparu lors de la perquisition dont il a fait l'objet en 1961 ; Attendu qu'il échet de condamner la B. à verser à D. la somme de TROIS MILLIONS DEUX CENT QUARANTE MILLE (3.240.000) FRANCS au titre des salaires ; Attendu que l'employé a subi un préjudice certain de l'abus de droit dont il a été victime du fait de la rupture unilatérale de son contrat par la B. ; que ce préjudice mérite réparation : Mais attendu que la demande est exagérée en son quantum ; que la Cour dispose d'éléments suffisants d'appréciation pour fixer à UN MILLION (1.000.000) de FRANCS le montant de la réparation ; qu'il y a lieu de condamner la B. au paiement de cette somme ; Attendu que la B. sollicite la condamnation de l'appelant à lui verser la somme de 1.000.000 Francs à titre de dommages-intérêts pour action téméraire et abus du droit d'ester en justice ; Attendu que dans le cas d'espèce, aucun abus, de droit ou action téméraire ne saurait être relevé à l'encontre de D., la rupture du contrat étant entièrement imputable à la B. ; Qu'il échet de la débouter purement et simplement de ses prétentions ; Par ces motifs : et ceux non contraires du premier Juge que la Cour adopte par arrêt public, contradictoire en matière sociale et en dernier ressort : Reçoit le sieur D. en son appel principal et la B. en son appel incident * Confirme le jugement querellé en ce qu'il a dit et jugé : - que la B. a été l'employeur de D. et qu'il est fondé dans sa demande - que l'action en réclamation des salaires n'est pas prescrite * L'infirme cependant en ce qu'il a jugé que D. ne rapporte pas la preuve de la faute commise par l'employeur, la non-délivrance d'une lettre de licenciement suffisant à elle seule à rendre le licenciement abusif * Déclare le licenciement abusif motif pris de ce : - qu'il ne repose sur un aucun motif réel et sérieux - qu'aucune faute professionnelle pouvant être qualifiée de faute lourde n'a été relevée contre l'employé - que la perte de confiance alléguée n'est pas établie * Condamne la B. à verser à D. les sommes de TROIS MILLIONS DEUX CENT QUARANTE MILLE (3.240.000) FRANCS au titre des salaires et UN MILLION (1.000.000) de FRANCS à titre de dommages-intérêts pour abus de droit de rupture - Déboute D. du surplus de ses demandes - Déboute la B. de sa demande de dommages-intérêts pour abus de droit d'ester en justice et pour action téméraire Ainsi fait, jugé et prononcé publiquement. |