Jurisprudence Bénin
La technologie au service du droit béninois
|
|
Arrêt no 124 du 11 Décembre 1987 |
Arrêt no 124 du 11 Décembre 1987
Ministère Public c. DOMAYAKPOR Cyr Ange DOIT ÊTRE INFIRMÉ TANT SUR LE PLAN PÉNAL QUE CIVIL, LE JUGEMENT QUI, POUR RETENIR UN PRÉVENU DANS LES LIENS DE LA PRÉVENTION POUR LE DÉLIT D'ESCROQUERIE, ASSEOIT SA CONVICTION SUR DES BASES AUTRES QUE LES ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS DE L'INFRACTION, ET LE PRÉVENU AINSI CONDAMNÉ DOIT ÊTRE RENVOYÉ DES FINS DE LA POURSUITE, ET POUR LE PRÉJUDICE SUBI DU FAIT DE SA DÉTENTION, LA COUR SE DÉCLARE INCOMPÉTENTE POUR CONNAÎTRE DE LA CAUSE ET LE RENVOIE À MIEUX SE POURVOIR, SA SAISINE AYANT ÉTÉ ÉPUISÉE DU FAIT DE LA RELAXE PRONONCÉE.
La Cour Vu le jugement correctionnel n° ; 416/B du Tribunal de Cotonou en date du 8 Mai 1987 déclarant Cyr Ange ADOMAYAKPOR, coupable, et le condamnant à trente six (36) mois de prison ferme et à payer à dame ADECHOKAN Sidicatou, la somme de 24.000.000 francs ; Vu les appels respectifs de Maître AGBO C. Paul pour le compte du prévenu et du Ministère Public, en date du 14 Mai 1987 contre ledit jugement ; Ouï M. le Président en son rapport ; Ouï Maître AGBO C. Paul, substituant Maître KOFFIGOH, Conseil du prévenu, en ses dires et observations ; Ouï le Ministère Public en son requisitoire tendant à voir infirmer le jugement entrepris ; Nul pour la partie civile et son Conseil Maître AGBANTOU qui, régulièrement avertis, se sont abstenus de comparaître ; Vu les pièces du dossier ; Après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement en matière correctionnelle et en appel par arrêt contradictoire et en dernier ressort ; Attendu qu'en date du 14 Mai 1987, le prévenu ADOMAYAKPOR Cyr Ange, par l'organe de Maître AGBO C. Paul et le Ministère Public, ont relevé appel du jugement correctionnel n° ; 416/B du Tribunal de Cotonou, rendu le 8 Mai 1987 ; Que les appels sont intervenus dans les forme et délai de la loi ; Qu'il échet de les déclarer recevables ; Les faits de l'espèce sont les suivants : Le prévenu ADOMAYAKPOR Cyr Ange, Agent commercial de nationalité togolaise, de passage à Cotonou, fit la connaissance de dame ADECHOKAN Sidicatou, commerçante de son état, par l'intermédiaire du nommé MONTCHO Robert, le 8 Octobre 1984 ; très vite, des relations d'affaires s'établissent entre eux ; ainsi, le prévenu ADOMAYAKPOR Cyr Ange a eu à livrer à crédit, diverses marchandises telles : du riz, du sucre, des cartons de cigarettes, etc... à dame Sidicatou ADECHOKAN qui, manifestement satisfaite de cette prestation, passa de plus en plus de commandes au prévenu qui les honorait jusqu'à la commande (1.000) mille cartons de cigarettes soit 970 cartons de "BENSON" et 150 cartons de "KING SIZE", le tout pour un montant global de 93.850.000 francs, mais dont la livraison accuse du retard de la part du prévenu ADOMAYAKPOR Cyr Ange ; La dame Sidicatou ADECHOKAN n'admettant pas ce retard, a commencé par harceler ADOMAYAKPOR Cyr Ange de toutes les façons possibles exigeant la livraison immédiate des (1.000) cartons de cigarettes commandés ou le remboursement d'une certaine somme d'argent dont le montant a varié de dix huit millions à, en définitive, 24.100.000 francs ; devant les dénégations et résistance de ADOMAYAKPOR Cyr Ange, ce dernier fut vidé de l'Hôtel "ETOILE ROUGE", appréhendé et conduit "manu militari" par dame ADECHOKAN Sidicatou, Maître AGBANTOU et leur groupe, au Commissariat de Cadjèhoun vers 22 heures ; là, le lendemain, on l'obligea à rédiger les deux "Reconnaissance et Engagement" datés du 20 Octobre 1984 ; la Police de Cadjèhoun établit contre ADOMAYAKPOR Cyr Ange, le procès-verbal n° ; 127/CC/DUC 6/SUC du 20 Octobre 1984 et le déféra au Parquet de Cotonou pour escroquerie ; Le Tribunal Correctionnel de Cotonou saisi du dossier, déclara par le jugement n° ; 416/B du 8 Mai 1987 ADOMAYAKPOR Cyr Ange, convaincu d'escroquerie et le condamna à 36 mois de prison ferme et à payer à titre de dommages-intérêts à dame Sidicatou ADECHOKAN la somme de 24.100.000 Francs ; C'est de cette décision qu'appels furent interjetés par Maître AGBO C. Paul pour le compte du prévenu ADOMAYAKPOR Cyr Ange et par le Ministère Public, le 14 Mai 1987 ; Sur le plan pénal Attendu qu'au soutien de son appel, Maître AGBO C. Paul pour le compte du prévenu ADOMAYAKPOR Cyr Ange souligne, qu'en la forme, le procès-verbal d'enquête policière n° ; 127/DUC 6/SUC du 20 Octobre 1984 sur lequel est fondé la poursuite du Parquet, encourt nullité pour arrestation du prévenu en dehors des heures légales (22 heures de nuit) et par des personnes n'ayant ni la compétence, ni surtout la qualité pour le faire (dame Sidicatou, Maître AGBANTOU et leur monde) ; Que sur le fond, depuis la Police jusque devant la Cour, le prévenu ADOMAYAKPOR Cyr Ange a toujours rejeté avoir pris une quelconque somme d'argent de dame Sidicatou ADECHOKAN, partie civile ; Qu'il a administré la preuve de la véracité de cette dénégation par l'audition du témoin MONTCHO Robert cité par les accusateurs eux-mêmes comme l'intermédiaire pour la remise de la fameuse somme de 24.100.000 francs ; qu'au surplus, la simple lecture des deux (2) "Reconnaissance - Engagement" relève que, s'il y avait dans le cadre de la commande des 1.000 cartons de cigarettes dont le montant s'élève à 93.850.000 frcs, c'était à titre d'acompte ou avance et que cette remise n'aurait pu être opérée que volontairement par dame Sidicatou ADECHOKAN vu le climat de confiance qui régnait entre les deux ; Qu'il n'y a eu aucune manoeuvre frauduleuse du prévenu qui aurait déterminé cette sorte de remise de fonds, si ce n'est l'appât du gain de la part de dame ADECHOKAN Sidicatou dont la mauvaise foi s'avère évidente en la cause ; Qu'en considération de tout ce qui précède, il sollicite qu'il plaise à la Cour, infirmer le jugement correctionnel n° ; 416/B du 8 Mai 1987 du Tribunal de Cotonou en toutes ses dispositions, et évoquant, dire que le délit d'escroquerie mis à la charge de ADOMAYAKPOR Cyr Ange n'est pas constitué, faute d'élément intentionnel ; relaxer purement et simplement ADOMAYAKPOR Cyr Ange et lui allouer (10.000.000 de francs), toutes causes de préjudices confondues pour toutes les vexations subies du fait de la dame Sidicatou ADECHOKAN ; Attendu que le Ministère Public de son côté, déplore la décision du premier Juge s'agissant de relations d'affaires entre le prévenu et la partie civile, ADECHOKAN Sidicatou, que tous les commerçants ayant traité avec le prévenu, ne l'ont connu que sous l'identité ADOMAYAKPOR Cyr Ange comme l'attestent les pièces officielles de l'intéressés ; Que dès lors, la prévention d'escroquerie tenant à l'usage, même s'il était prouvé, n'a nullement déterminé la remise des prétendus Vingt Quatre millions cent mille (24.100.000) francs par dame Sidicatou ADECHOKAN ; Qu'en conséquence, il requiert l'infirmation du jugement entrepris, la relaxe de ADOMAYAKPOR Cyr Ange et l'allocation de dommages-intérêts de 10.000.000 (Dix millions de francs) pour tous les préjudices subis, du fait de l'arrestation, les tracasseries diverses subies, la prison de 34 mois purgés pour rien, comme réclamés ; Attendu que dame ADECHOKAN Sidicatou, bien que non appelante, a été régulièrement convoquée tant par le truchement de la police que de son propre Avocat, Maître AGBANTOU présent ; mais s'est abstenue, comme son Conseil, de comparaître devant la Cour, le 16 Octobre 1987 retenu d'accord parties en vue de s'expliquer sur l'accusation qu'elle formule contre le prévenu ADOMAYAKPOR Cyr Ange ; Qu'une telle attitude vis-à-vis de la Cour, s'assimile à tout le moins, à un désintéressement de sa cause, attitude dont la juridiction se doit de tirer toutes les conséquences ; Attendu que l'examen des pièces du dossier et l'étude du témoignage fondamental du sieur Robert MONTCHO révèle que la somme de 24.100.000 francs figuré aux deux "Engagement - Reconnaissance" du 20 Octobre 1984 déposés au dossier, n'a jamais été versée dans les mains du prévenu ; Que les engagement - reconnaisance lui ont été imposés à dessein alors qu'il était déjà entre les mains de la Police ; Attendu que lesdits "Engagement - Reconnaissance" pour être crédibles, auraient dû être normalement délivrés à la date même où l'argent a été supposé remis au prévenu ADOMAYAKPOR Cyr Ange par dame ADECHOKAN Sidicatou et non au commissariat de Police, le 20 Octobre 1984 ; Attendu que le versement de la somme de Vingt quatre millions cent mille (24.100.000) francs est d'ailleurs nié énergiquement par le prévenu, confirmé en cela par le sieur MONTCHO Robert indiqué comme témoin par Sidicatou ADECHOKAN, elle-même ; Que les "Engagement - Reconnaissance" sont du 20 Octobre 1984, date même du procès-verbal du Commissariat de Police de Cadjèhoun où le prévenu ADOMAYAKPOR Cyr Ange était detenu ; Que cette constatation matérielle atteste la violence morale ou extorsion alléguée par ADOMAYAKPOR Cyr Ange et oblige la Cour à les écarter des débats ; Mais attendu que même si l'on maintenait ces documents aux débats, leur lecture attentive démontre à l'évidence qu'il s'agissait d'une relation commerciale entre la partie civile, dame Sidicatou ADECHOKAN et le prévenu ADOMAYAKPOR Cyr Ange puisque la somme de 24.100.000 francs dont le versement se trouve contesté, y est dénommée "Une avance" pour la commande... ; Attendu de plus que desdits documents, il ressort nettement que, si remise des 24.100.000 frcs. Il y avait eu, celle-ci n'a nullement été le résultat de l'emploi d'une quelconque manoeuvre frauduleuse consistant en la prise d'un faux nom par le prévenu, ce dernier s'étant toujours présenté à la dame Sidicatou ADECHOKAN sous l'identité ADOMAYAKPOR Cyr Ange, identité enregistrée par la Police et confirmée devant le Tribunal Correctionnel de Cotonou dont la décision est ici déférée ; Que vainement il est évoqué un patronyme HOUEDO par le premier Juge pour en tirer l'élément de culpabilité du prévenu ; Attendu qu'au surplus, il est de jurisprudence constante que même la prise d'un faux nom - si elle se trouve avérée, ce qui est loin d'être le cas en l'espèce - ne constitue l'escroquerie que si elle a été la cause déterminante de la remise des fonds (Crim. 22 Novembre 1917 Bull Crim n° ; 242) ; Attendu qu'en l'espèce, les parties entretenaient des relations d'affaire suivies ; Attendu que de tout ce qui précède, il appert que le prévenu ADOMAYAKPOR Cyr Ange n'a nullement commis l'escroquerie à lui reprochée ; Qu'en conséquence, il échet d'infirmer tant sur le plan pénal que civil, le jugement correctionnel n° ; 416/B du 8 Mai 1987 du Tribunal de Cotonou querellé et évoquant, de relaxer le prévenu ADOMAYAKPOR Cyr Ange pour délit non constitué, de mettre les frais à la charge du Trésor Public ; Sur le plan civil Attendu que Maître AGBO C. Paul, pour le compte de ADOMAYAKPO Cyr Ange, sollicite l'allocation de 10.000.000 de francs toutes causes de préjudices confondues pour les tracasseries policières et autres et pour les 34 mois de prison sur 36 purgés par son client ; Attendu que le Ministère Public déclare s'en rapporter pour la fixation du quantum ; Attendu que tout fait quelconque de l'homme qui crée un dommage à autrui, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à réparer ; (article 1382 du Code Civil) ; Attendu que c'est bien sur l'action volontaire de dame Sidicatou ADECHOKAN que le prévenu ADOMAYAKPO Cyr Ange a été détenu à la Police puis déféré, jugé et emprisonné pour plus de trente quatre (34) mois pour escroquerie ; Attendu que la prévention d'escroquerie mise à la charge de ADOMAYAKPOR Cyr Ange a été déclaré non constituée par la Cour de céans ; Que c'est donc à bon droit que le prévenu ADOMAYAKPOR Cyr Ange, relaxé pour délit non constitué, par la voix de son Conseil Maître AGBO C. Paul demande réparation des dommages à lui réellement causés suite à son arrestation et à sa condamnation à 36 mois de prison ferme ; Attendu que si cette constitution de partie civile est régulière en la forme, la Cour de céans ayant relaxé le prévenu pour délit pénal non constitué, a épuisé sa compétence et doit se déclarer incompétente à se prononcer sur les dommages-intérêts réclamés, et renvoyer le prévenu, relaxé et ses Conseils à mieux se pourvoir ; Par ces motifs : Et ceux non contraires du premier Juge que la Cour adopte après en avoir délibéré conformément à la loi Par Arrêt public, contradictoire en appel correctionnel et en dernier ressort En la Forme : Reçoit les appels respectifs de Maître AGBO C. Paul pour le compte du prévenu ADOMAYAKPOR Cyr Ange et du Ministère public en date du 14 Mai 1987, contre le jugement correctionnel n° ; 416/B du Tribunal de Cotonou, en date du 8 Mai 1987, comme valides pour être intervenue dans les forme et délai de la loi Au Fond : Sur le plan pénal La Cour infirme le jugement correctionnel n° ; 416/B du 8 Mai 1987 du Tribunal de Cotonou attaqué en ce qu'il a déclaré "HOUEDO Cyr Ange Mathieu dit ADOMAYAKPOR Kouami" coupable du délit d'escroquerie mis à sa charge par le Ministère Public ; l'a retenu dans les liens de la prévention ; aux frais de Justice et fixé la contrainte par corps à 30 jours Evoquant et Statuant La Cour constate que les deux "Reconnaissance et Engagement" versés au dossier et attribué au prévenu ADOMAYAKPOR Cyr Ange, lui ont été effectivement extorqués à la Police et les écarte des débats Sur le fonds même du dossier, dit le délit d'escroquerie reproché au prévenu nullement constitué, s'agissant en réalité de relations commerciales entre la dame Sidicatou ADECHOKAN et Cyr Ange ADOMAYAKPOR Relaxe en conséquence ce dernier des fins de la poursuite pour escroquerie, met les frais à la charge du Trésor Public. Sur le plan civil Reçoit l'action en dédommagement du sieur ADOMAYAKPOR Cyr Ange, mais se déclare incompétente pour en connaître, et renvoie ADOMAYAKPOR Cyr Ange et ses Conseils à mieux se pourvoir Ainsi fait, jugé et prononcé publiquement par la Chambre Correctionnelle de la Cour d'Appel de Cotonou. |