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Arrêt no 14 du 23 Juin 1988 Convertir en PDF Version imprimable Suggérer par mail

Arrêt no 14 du 23 Juin 1988
Source : SIJIP - Système d'informations juridiques, institutionnelles et politiques (A.I.F.)

 

 

Société T. et Mr A. K. M. c. O. O.
2 - PROCEDURE PENALE - DEFENSE A EXECUTION PROVISOIRE DES CONDAMNATIONS CIVILES PRONONCEES PAR UNE JURIDICTION REPRESSIVE - COMPETENCE : COMPETENCE DE LA CHAMBRE CIVILE DE LA COUR D'APPEL AU DETRIMENT DE LA CHAMBRE CORRECTIONNELLE (OUI) - EXECUTION PROVISOIRE : INOPPORTUNITE JURIDIQUE (OUI) - NECESSITE CORRELATIVE D'â SURSEOIR (OUI)

LORSQU'À LA SUITE D'UN ACCIDENT DE LA CIRCULATION, LE PRÉVENU A ÉTÉ CONDAMNÉ À UNE PEINE CORRECTIONNELLE ET SON COMMETTANT, LE CIVILEMENT RESPONSABLE À PAYER À LA VICTIME DES DOMMAGES-INTÉRÊTS ASSORTIS DE L'EXÉCUTION PROVISOIRE DANS LE RAPPORT DES 2/3 DU MONTANT ET QUE LE PRÉVENU ET SON CIVILEMENT RESPONSABLE ONT RELEVÉ APPEL DE CE JUGEMENT POUR LE VOIR INFIRMER PAR LA CHAMBRE CORRECTIONNELLE DE LA COUR D'APPEL, LA CHAMBRE CIVILE DE LA MÊME COUR SAISIE POUR CONNAÎTRE DE L'INCIDENT DE DÉFENSE À EXÉCUTION PROVISOIRE DOIT SE DÉCLARER COMPÉTENTE DANS LA MESURE OÙ CETTE COMPÉTENCE A DÉJÀ ÉTÉ AFFIRMÉE DE FAÇON FERME ET DÉFINITIVE PAR UNE JURISPRUDENCE ET UNE DOCTRINE CONSTANTES.

LES DISPOSITIONS DE L'ARTICLE 135 DU CODE DE PROCÉDURE CIVILE ONT PRÉVU DES CONDITIONS PRÉCISES POUR ORDONNER L'EXÉCUTION PROVISOIRE DE FAÇON À EN ÉVITER L'USAGE ABUSIF ET À EMPÊCHER QUE PAR CE BIAIS, IL SOIT FAIT OBSTACLE AU LIBRE JEU DES VOIES DE RECOURS.

UNE EXÉCUTION PROVISOIRE ORDONNÉE UNE SECONDE FOIS AU PROFIT DE LA VICTIME D'UN ACCIDENT CONSTITUE UNE ENTORSE AU PRINCIPE : QU'IL IMPORTE DE PROSCRIRE EN ORDONNANT LA DÉFENSE À L'EXÉCUTION PROVISOIRE SOLLICITÉE.


Président : ALYKO William
Conseillers : ELEGBE Alfred ; BOUSSARI Edwige
Greffier : AITCHEDJI Irène
Avocats : Luiz ANGELO ; Agnès CAMPBELL-da SILVA

La Cour

Attendu que par acte du Greffe en date du 8/5/88. La Société T. ayant son siège social à Cotonou, B.P. 8118, agissant aux poursuites et diligences de son Directeur Général, le Sieur F. D, demeurant et domicilié audit siège, et de A. R. M., son préposé, demeurant à Cotonou IV, C/866, assistés de Me Luiz ANGELO, Avocat près la Cour d'Appel de Cotonou, a relevé appel du jugement No 157 rendu le 27 Avril 1987 sur les intérêts civils que le Tribunal de Première Instance de Porto-Novo siégeant en matière correctionnelle dans une procédure no 1090/RP/83 Ministère Public C/ A. K. M., poursuivi pour Homicide involontaire, Blessures involontaires, Croisement défectueux et Défaut de maîtrise, et T., civilement responsable.

Que cet appel est recevable pour avoir été interjeté dans les forme et délai prévus.

Attendu en outre que par exploit de Me Hortense de SOUZA en date du 2 Septembre 1987, la même Société a assigné O. O. à comparaître par-devant la Chambre Civile et Commerciale de la Cour d'Appel de Cotonou en son audience ordinaire du 10 Septembre 1987 à fin de défense à l'exécution provisoire ordonnée par le Premier Juge dans la décision querellée du 27 Avril 1987 ;

Que cette assignation est régulière également en la forme et qu'il échet d'en apprécier les mérites au fond.

Attendu que dans ladite assignation en date du 2 Septembre 1987, la T. expose que :

- Sur les intérêts civils, ledit jugement a condamné la requérante à payer au Sieur O. O. la somme totale de 35 millions de francs et ordonné l'exécution provisoire partielle jusqu'à concurrence des 2/3, soit 20 millions de francs, déduction faite de la provision de 5 millions de francs allouée par un jugement avant-dire droit no 395 rendu le 5 Août 1985 par le Tribunal ;

- Qu'il n'y a plus eu en la cause ni urgence, ni péril, qu'une éxécution provisoire, même partielle, préjudicierait au fond du litige ;

Par ces motifs, voir dire et ordonner que l'exécution du jugement du 27 Avril 1987 sera suspendue jusqu'à ce qu'il ait été statué sur l'appel interjeté par la requérante.

Attendu qu'il est constant que le Tribunal de Première Instance de Porto-Novo statuant en matière correctionnelle dans une procédure No 1090/RP/AP/83 MPC/ A. K. M., prévenu ayant pour civilement responsable la T., assistée de Me Luiz ANGELO, a rendu un jugement No 157 le 27 Avril 1987 dont le dispositif est ainsi libellé :

" Par ces motifs : Statuant publiquement, contradictoirement sur les intérêts civils, en matière pénale et en premier ressort ;

- Vu le jugement no 395 en date du 5 Août 1985 du Tribunal de Céans sur la culpabilité du prévenu A. K. M. et sa responsabilité dans l'accident du 12 Août 1982 ;

- Déclare recevable, juste et fondée la constitution de partie civile de O.O.J. ;

- Dit toutefois qu'il y a lieu de ramener sa demande, exagérée dans le quantum, à ses justes limites ;

- Condamne en conséquence le prévenu A. K. M. à lui payer, après déduction de la provision allouée par le jugement sus-visé, la somme globale nette de trente millions (30.000.000) de francs à titre de dommages-intérêts, toutes causes de préjudice confondues ;

- Déclare la T. civilement responsable de son préposé ;

- Ordonne l'exécution provisoire du présent jugement, nonobstant toutes voies de recours et sans caution, pour le règlement des deux tiers (2/3) du montant total de la somme allouée à la victime ;

- Prend acte de ce que les représentants de la succession de feu A. B. N. ont opéré un règlement transactionnel avec la T. et la S. sur leurs intérêts civils ;

- Condamne le prévenu au remboursement des frais liquidés à la somme d'un million deux cent quatre mille cinq cent cinquante-huit (1.204.558) frs, et ce, y compris le coût de l'enregistrement du présent jugement ;

- Fixe la durée des contraintes par corps comme suit :

* Pour le paiement de l'amende au profit de l'Etat à dix (10) jours ;

* Pour le paiement des frais de justice à sept (7) jours ;

* Pour l'exécution des condamnations en faveur des particuliers à trente (30) jours ;

Monsieur le Président a donné au condamné l'avertissement prévu par l'article 397 al 3 du Code de Procédure Pénale ;

Le tout par application des articles : 319, 320 du Code Pénal et l'arrêté Général du 24 Septembre 1956 ; 1382 du Code Civil ; 585, 587, 592, 593, 594, 595, 596 et 597 al 2 du Code de Procédure Pénale dont lecture a été donnée audience tenante par Monsieur le Président." ;

Qu'ainsi qu'elle l'a indiqué dans son assignation, la T., par l'organe de son Conseil, s'élève contre l'exécution provisoire ordonnée par le Premier Juge, et sollicite de la Chambre Civile et Commerciale de la Cour d'Appel de céans qu'elle a saisie de l'incident, la défense de cette exécution provisoire.

Attendu que dans ses notes en cours de délibéré en date du 4 Novembre 1987, Me Luiz ANGELO développe ses arguments en faveur de la compétence de la Chambre Civile de la Cour d'Appel et de l'inopportunité juridique de l'exécution provisoire ordonnée et la nécessité corrélative d'y surseoir ;

Que, s'agissant de la compétence de la Chambre Civile de la Cour d'Appel, il fait observer que la juridiction répressive ne connaît de l'action civile qu'à titre exceptionnel et successivement à l'action pénale ;

Que tous les incidents auxquels peut donner lieu le dispositif civil d'une décision pénale ressortissent à la compétence plus générale des juridictions civiles, qu'il en est ainsi de la tierce opposition et de la défense à exécution ;

Qu'il ne remet nullement en cause le principe de la responsabilité pénale, ni qu'il n'est pas question de faire entorse au principe de l'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil ;

Que toutefois, le principe de la compétence de la Cour en sa formation civile pour connaître de la défense à exécution provisoire dirigée contre le dispositif civil d'une décision correctionnelle est une question réglée par la jurisprudence tant au Bénin qu'Outre-Atlantique.

Attendu qu'il est requis en l'espèce que le péril en la demeure ou l'urgence, conditions requises pour l'application de l'article 135 du Code de Procédure Civile, si tant est qu'elles ont existé, ont été conjurées depuis le jugement avant-dire-droit du 5 Août 1985 ayant alloué une provision de 5 millions de francs CFA à la victime ;

Que l'exécution provisoire ordonnée dans le jugement dont appel n'est sous-tendue par aucune des motivations limitativement énumérées par la loi ; qu'il est inéluctable de censurer ladite décision manifestement fondée sur la défiance envers la T. et de juger qu'il sera sursis à l'exécution dudit jugement du 27 Avril 1987 jusqu'à décision définitive sur le fond.

Attendu que pour le compte de O.O.M., Me Agnès CAMPBELL-da SILVA, Avocat à la Cour, dans ses notes responsives en cours de délibéré en date du 3 Janvier 1988 soulève l'incompétence de la Formation Civile de la Cour d'Appel pour connaître de l'appel d'une décision correctionnelle déjà déférée à la Chambre Correctionnelle de ladite Cour par acte régulier d'appel ;

Qu'elle plaide également en faveur de l'exécution provisoire ordonnée par le Premier Juge en expliquant que l'urgence et le péril en la demeure se justifient au dossier médical par l'obligation dans laquelle se trouve le sieur O.O. de se rendre périodiquement en France pour se faire contrôler et soigner ;

Que l'intimé sollicite au principal de voir la Cour se déclarer incompétente à statuer en l'espèce ;

Au subsidiaire, confirmer la décision querellée sur l'exécution provisoire ordonnée, et au besoin, ramener le quantum de l'exécution provisoire ordonné à telle proportion qu'il lui plaira... etc.

Attendu que la compétence de la Chambre Civile de la Cour d'Appel pour connaître des incidents liés à des condamnations civiles prononcées par des juridictions répressives a été affirmée de façon ferme et définitive par une jurisprudence et une Doctrine constantes ;

Que l'arrêt no 31 du 10 Mai 1984 rendu par la Cour d'Appel de céans dans la procédure H.H. contre A.A. cité par l'appelant et versé aux débats est une des illustrations récentes de cette position jurisprudentielle ;

Qu'il n'y a donc pas lieu de s'attarder autrement sur ce faux débat.

- Attendu qu'il est utile de rappeler qu'il est de règle que seules sont exécutoires les décisions de justice ayant acquis l'autorité de la chose jugée ;

Que les dispositions de l'article 135 du Code de Procédure Civile sur l'exécution provisoire constituent une exception d'importance volontairement faite par le Législateur lui-même dans certains cas et dans certaines conditions précises données de façon, d'une part, à en éviter l'usage abusif, et, d'autre part, à empêcher que par ce biais, il soit fait obstacle au libre jeu des voies de recours.

Attendu qu'en l'espèce, l'exécution provisoire ordonnée pour la première fois par jugement avant-dire-droit no 395 du 5 Août 1985 du Tribunal de Première Instance de Porto-Novo n'a soulevé aucune contestation parce que justifiée à l'évidence par la gravité des lésions subies par la victime de l'accident de la circulation O.O. et l'urgence qu'il y avait à lui faire prodiguer des soins diligents par des spécialistes à l'étranger, que le problème vient de ce que le bénéfice de l'exécution provisoire sollicitée par le Conseil de la victime, Me Agnès CAMPBELL-da SILVA, a été accordé par le Premier Juge dans la décision attaquée aux motifs que "cet homme, handicapé physique et moral, a besoin d'une provision financière suffisante pour résoudre ses problèmes journaliers vitaux et pour poursuivre également ses soins ;

Qu'il est juste en conséquence, compte-tenu de l'urgence et pour ne pas permettre à la partie adverse de bloquer la procédure, d'ordonner l'exécution provisoire du présent jugement pour les 2/3 du montant total des dommages-intérêts alloués à la victime, nonobstant opposition ou appel et sans caution".

Attendu que par ce motif, la volonté de limiter le pouvoir d'appréciation de la juridiction d'Appel, et par conséquent d'entraver le libre jeu des voies de recours, est manifeste de la part du Premier Juge ;

Qu'en outre, il est aussi évident que l'exécution provisoire ordonnée une seconde fois au profit de la victime, à supposer même qu'elle fût encore justifiée par le dossier médical de l'intéressé, ce sur quoi la Cour de céans n'est pas en mesure de se prononcer, ledit dossier ne lui ayant pas été communiqué pour appréciation, constitue une entorse au principe "non bis in idem", qu'il importe de proscrire sur le champ, puiqu'en effet il était loisible au Premier Juge de procéder à une meilleure appréciation pour accorder à bon escient lors de son jugement ADD no 395 du 5 Août 1985 les fonds suffisants et réellement nécessités par l'état de la victime ;

Que pour toutes ces raisons, il échet de faire droit à la demande de sursis à exécution provisoire faite par l'appelant.

Par ces motifs :

Statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort :

- Dit que la Cour d'Appel statuant en matière civile est compétente pour se prononcer sur la défense à exécution provisoire dirigée contre le dispositif civil du jugement correctionnel du 27 Avril 1987 du Tribunal de Première Instance de Porto-Novo ;

- Rejette en conséquence le déclinatoire de compétence proposé par O.O. ;

- Dit en outre que les conditions d'urgence et de péril en la demeure exigées par la loi pour justifier l'exécution provisoire ne sont pas remplies en l'espèce ;

- Infirme sur ce point le jugement dont s'agit.

- Ordonne en conséquence qu'il sera sursis à son exécution jusqu'à décision définitive sur le fond.

- Condamne O.O. aux dépens dont distraction au profit de Me Luiz ANGELO, Avocat.

Ainsi fait, jugé et prononcé publiquement par la Cour d'Appel de Cotonou